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La santé en Médecine Chinoise


Sūn Sī Miǎo 孙思邈 (581 - 682)

Les santés

C’est ainsi que s’est développé en médecine chinoise tout un savoir précis sur les santés de l’être humain. Tout un savoir fondé sur des signes cliniques, des symptômes et des syndromes des diverses santés qui peuvent affecter l’humain.

En fait, le médecin chinois dispose d’une nosographie immense et raffinée des santés qui lui permettent d’isoler et d’indexer le type de santé dont est affecté un de ses patients à un moment donné. Car dans la tradition chinoise, il est licite et normal de consulter le médecin parce que justement on est dans une santé qui vous convient et que l’on souhaite maintenir « cette santé là ». La séquence: « bonjour docteur je me sens particulièrement bien, qu’est-ce qu’on peut faire ? » est banale. Nous sommes ici à l’inverse du « vous n’avez rien » de la médecine occidentale qui signifie que n’ayant pas trouvé de maladie, le médecin en conclut par défaut que le patient est en bonne santé. Ce « rien » est proprement impensable en Chine. Plus exactement, il ne peut définir que la mort. Et encore. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la définition de Leriche qui voulait que la santé soit le silence des organes ne s’applique pas à la médecine chinoise pour laquelle les organes en santé sont terriblement bruyants.

Comme on s’en doute, avec cette approche de la vie, la médecine chinoise est centrée sur la santé et s’intéresse plus, en première intention, à la protéger, la maintenir qu’à traiter les maladies.

La maladie étant d’ailleurs conçue comme le symptôme d’un terrain de santé « aujourd’hui » en déficience. C’est donc le terrain qui sera soigné et non telle ou telle maladie.


Une Médecine de terrain


Le terrain

Dans le cadre de cette conception essentiellement dynamique, il va de soi que la notion de « terrain » est elle aussi dynamique. Le « terrain », du point de vue chinois, n’est pas une quelconque prédisposition personnelle ou héréditaire à développer telle ou telle maladie, mais une sorte de métabolisme des stimuli internes et des stimuli externes propres à l’individu et inscrits dans la temporalité. Ce métabolisme est fonction du « tempérament » de chacun.


Le tempérament

La notion chinoise communément traduite en français par tempérament se rapproche plus des notions occidentales de diathèse et d’idiosyncrasie que du tempérament de la médecine des humeurs des traditions hippocratique et galénique. Il n’y a pas moins d’une trentaine de termes qui recouvrent chacun un aspect de la constitution et de la diathèse du sujet. Mais attention, en chinois, les définitions d’une notion sont multiples, aucune n’étant la « vraie » pour la simple raison que la « vérité » est affaire de contexte, affaire de réalisation éphémère dans un contexte.

Si l’on cherche à définir avec précision (une notion bien occidentale!) le tempérament on pourrait obtenir ceci :

  • 气 质, qi zhi, signifie globalement qualité de la constitution, de la diathèse. Le terme est composé de 气 qui désigne la vigueur, l’énergie, le dynamisme vital et 质 qui signifie matière, qualité, nature, caractère, mais aussi otage et gage (et c’est loin d’être neutre!).

  • 性 格, xing ge, est composé de 性 qui signifie nature, propriété, sexe et qui est aussi un suffixe pour les noms et les adjectifs, et 格 qui signifie case, quadrillage, norme, modèle). 性 格 peut se traduire par modèle sexué spécifique de la diathèse.

  • 性 情, xing qing, associe 性 (nature/propriété/sexe/suffixe pour les noms et les adjectifs) et 情 qui signifie sentiment, amour, sensibilité, situation, état. 性 情 peut se traduire par diathèse des situations relationnelles.

  • 生 性, sheng xing. Avec 生 性 les choses se compliquent un peu. La première partie du terme est 生 qui signifie en tant que verbe accoucher, naître, pousser, vivre; en tant que nom: vie / existence ; en tant qu’adjectif cru, inconnu / étranger. La seconde partie est 性 qui signifie nature, propriété, sexe et qui aussi un suffixe pour les noms et les adjectifs. 生 性 peut se traduire par disposition naturelle, diathèse, mais aussi source dynamique des dispositions naturelles, mais possède en plus une connotation « héréditaire », recouvrant peu ou proue les antécédents familiaux.

Un point à noter : 生 sheng, en tant qu’adjectif, signifie cru, mais aussi inconnu, étranger. Il faut savoir qu’en Chine, le moins que l’on puisse dire est que le « cru » est dévalorisé, témoignage de « non-civilisation ». Souvent assimilé au froid (autre détestation chinoise), le cru est synonyme de « brut », non conformé/formaté par la culture (文 化 wenhua). Aujourd’hui, un père qui se désole de l’occidentalisation de ses enfants dira « ils boivent de l’eau crue ! », l’eau crue étant de l’eau froide : une abomination !

  • 脾 气, pi qi, associe 脾 qui désigne la rate et 气 vigueur, énergie, dynamisme vital. On peut donc traduire par « qì de la rate ». Du point de vue qui nous intéresse, 脾 气 désigne l’humeur en tant qu’elle est produite par la rate. Pas l’humeur d’un moment, mais la diathèse de la rate à produire de la bonne ou de la mauvaise humeur, du bon ou du mauvais caractère. In fine : diathèse de la rate dans la production du caractère.

  • 骨 气 gu qi, associe 骨 (os, ossature, charpente) et 气 vigueur, énergie, dynamisme vital. Le terme pouvant se traduire par charpente du tempérament, structure de la diathèse.

  • 人 格, ren ge, associe 人 qui désigne l’humain et 格 qui signifie case, quadrillage, norme, modèle. 人 格 peut se comprendre comme le modèle de base (en tant que source) de la personnalité d’un sujet. En Chine, la personnalité d’un sujet est conçue comme le résultat de son façonnage par l’éducation, façonnage, modelage, dont l’objectif est que le sujet se fonde harmonieusement dans le groupe. Autrement dit, 人 格 désigne plutôt la diathèse du comportement social.

La vie comme somme de séquelles

Tout au long de la vie, les différentes déclinaisons de la diathèse évoluent au gré du flux d’existence et en fonction des affections du sujet. Toute affection (c’est-à-dire toute maladie, mais aussi toute santé) change définitivement le sujet, représente comme un point d’inflexion du cours de l’existence (qu’il y ait ou non guérison, en cas d’affection pathologique). C’est de ce point de vue que la vie du sujet est une somme et une synthèse de séquelles, le « vieux » étant à la fois au bout et à la synthèse ultime des séquelles de son existence.

Entre la diathèse/tempérament et les séquelles, s’effectue en effet une synthèse, ou plus exactement, séquelle et tempérament se combinent comme un précipité dans « l’éprouvette du corps/vie ».


Les séquelles

后 遗 症 hou yí zheng que se traduit par séquelle est composé de trois caractères. 后 hou qui signifie arrière, descendant, derrière, après / ensuite ; 遗 yi qui signifie perdre, abandonner, laisser, mais aussi léguer / transmettre et omettre ; 症 zheng qui est un des termes signifiant maladie et/ou symptôme. On peut traduire 后 遗 症 par « ce que laisse la maladie derrière elle, ou, mieux encore : ce que lègue la maladie. Mais il y a aussi les séquelles de la santé, ce que laissent comme traces dans le corps telle ou telle santé : 后 遗 康 hou yi kang (康 kang est un des nombreux termes évoquant la santé).


La résilience par nature

Dans une certaine mesure, si l’on suit la théorie chinoise des séquelles, on peut dire que la « vie chinoise » est conçue comme une résilience par nature: résilience et vie seraient alors synonymes; résilience qu’il faudrait alors entendre comme métabolisation des séquelles. De manière plus simple, on peut dire que sans séquelles, il n’y a pas de vie possible et que vivre c’est faire corps avec les séquelles.


La santé, 身 体

La médecine chinoise est centrée sur la notion de santé, la maladie étant l’absence de santé (dans d’autres cultures – comme la notre – la santé est l’absence de maladie). 身 体 shenti (un des nombreux termes qui désignent la santé) associe 身 shen (corps, vie, soi-même) et 体 ti (corps en harmonie, genre/style). Autrement dit, la santé est définie comme le style d’un corps pour être soi-même (pratiquement au sens littéraire et/ou plastique du terme style); la façon dont un corps est lui-même à sa manière propre donc. Cette définition exclut toute normativité statistique: la santé ne peut être qu’individuelle. La « style-corps-santé » de chacun est fonction du « terrain » personnel, du flux de vie et de ses séquelles. La maladie commence au moment où tel ou tel corps n’est plus dans son style. Cela veut dire qu’il y a des milliers de santé possibles au cours de la vie. En fonction de chaque sujet, de son « style corporel », de sa vie et de son terrain. On est donc dans le qualitatif et jamais dans le quantitatif et l’on devine les difficultés, voire les impossibilités à définir la notion de santé publique!


L’équilibre, c’est une mort

La pensée occidentale, la littérature médicale, qu’elle soit professionnelle ou de vulgarisation, le quotidien, sont saturés, dans tous les domaines, de la notion d’équilibre, sorte de paradis à atteindre et dans le lequel il faut se maintenir. L’équilibre définit en quelque sorte un immobilisme plus ou moins périlleux, un idéal de non mouvement, un instant de vie suspendu et que l’on s’efforce de rendre permanent (sans jamais y arriver!), une sorte d’arrêt sur image magique.

A lire le message médical comme les conseils de toutes sortes, on a l’impression que l’être humain est un funambule contraint à un équilibre sur son fil de santé et qu’il risque à tout moment de perdre son équilibre et de tomber dans l’immense champ des maladies qui attendent de l’engloutir au premier faux-pas. Il y a quelque chose du numéro de cirque dans l’équilibre en tant que santé. En Chine, rien de cela. Bien au contraire.


L’harmonie,

L’équilibre du point de vue chinois ne peut exister que dans un seul cas : la mort. L’équilibre: un idéal mortifère aux yeux des médecins chinois. En Chine, l’idéal de vie est l’harmonie 和 he.

和 est composé de 禾 he qui signifie moisson et de 口 kou qui signifie bouche et, ici, le chant qui sort de la bouche. Pour mieux comprendre le sens du caractère, il faut se référer à l’ancienne écriture chinoise où harmonie qui s’écrivait 龢 avait comme sens général « un groupe de moissonneurs chante un air, un autre groupe lui répond ». Ainsi, 和 l’harmonie est à comprendre comme la combinaison d’un chant et d’un contre-chant qui renvoie au premier chant tout en étant différent. Dans le jeu de l’harmonie, les éléments constitutifs agissent de concert plutôt qu’à l’unisson. Cela signifie que 和 he est un flux permanent de « conflits », de « négociation » et de « réajustement »: 和 he, se réalise au travers d’une série permanente d’interactions d’ajustement.

Dans l’ancienne littérature chinoise de l’époque des Royaumes combattants (475-221 avant l’ère commune), il y a une très belle image qui assimile l’harmonie à une soupe qui résulte de l’interaction de deux agents antagonistes (l’eau et le feu) et qui est un mélange d’éléments divers qui se complètent et / ou se neutralisent et, en lente cuisson, donne naissance à un goût incomparable fait d’un fond d’unité qui n’empêche pas que l’on reconnaisse chacun des composants. 和 he ne se comprend que dans le flux, le mouvement d’un dispositif d’éléments en résonance. 和, l’harmonie, c’est le mouvement des résonances fondatrices des réalisations de vie (感 應, ganying).


Autrement dit :

Ce que la médecine chinoise donne à voir de la vie, c’est l’entre-deux, le mouvement, la transformation. Ce qui n’est pas encore advenu et qui va advenir: la latence, contrairement à la médecine occidentale qui montre le manifesté, l’instant suspendu dans l’histoire, l’arrêt sur image. Et cette notion de latence et de manifeste organise toute la mise en espace et toute la temporalité du corps humain, comme toute la pensée chinoise d’ailleurs. Au centre du couple latent/manifeste, il y a ce que les Chinois appelle le Vide ou la vacuité. Pas un vide qui ne serait rien, mais un Vide dense, source de toutes les potentialités. Le Vide, dans la pensée chinoise classique n’est pas le vide théorique des physiciens, il est, selon les exemples chinois mêmes, le vide du moyeu, le vide dans la jarre, le vide des portes et fenêtres qui donnent leur fonctionnalité à la roue, aux récipients, aux maisons. C’est en ce sens que le Vide porte en germe toutes les possibilités de la vie. Tout sans cesse fonctionne. Rien n’est stable et fixé. Tout dure, mais rien ne dure qui ne change et ne devienne. Par là s’explique que le médecin chinois ne s’attache pas à découvrir ce que sont et comment sont les choses, mais s’efforce d’observer ces choses tandis qu’elles vont, se font et se défont. Il s’agit pour lui de laisser paraître des cycles, des alternances et des rythmes, des associations, des correspondances organisées.

article de François Lupu

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